Les ermites et la forêt dans le roman arthurien
"Ceux qui n'ont pas été initiés ne peuvent pénétrer dans la forêt initiatique sans courir le risque de s'y égarer et d'y perdre la vie. Mille embûches les y attendent et leur mort est quasi certaine".
Pierre
Saintyves[1].
Forêt et ermites sont deux
notions proches sémantiquement et culturellement.
Forêt tire son origine du
latin for-foris, qui signifie
éloigné, étrange et a également donné foreanus :
étranger.
Ermite provient du radical
indo-européen ER
II (ere) qui indique une idée de séparation,
et a donné le grec eremos, « désert », soit en vieux
français erme d'où ermir : « rendre désert ». Cette notion procédant de
celle de rté = « sans », qui indique la privation. Il ne nous
surprendra donc pas que l'espace désert qu'est la forêt, éloigné des espaces
habités[2],
accueille ceux qui recherchent la coupure avec le monde: les ermites, l'un et
l'autre opérant une mutuelle attraction. Forêt et ermites occupent de ce fait une même
position que nous qualifierons de charnière dans les romans arthuriens.
La première est un espace
transitionnel indispensable à l'accomplissement des aventures héroïques
auxquelles elle fournit un cadre préparatoire, les tournois ayant lieu aux
portes des cités. Espace de réclusion et d'initiation pour les héros en quête
d'aventures, lieu de rencontres aussi avec l'Autre Monde, en certains lieux
bien localisés eux-mêmes dans l'espace forestier. Elle est incontestablement un
topos de l'aventure chevaleresque et
courtoise, lieu de ressourcement et d'initiation, de confrontation au
merveilleux, préparatoire à de nouvelles aventures.
Toujours présente au moment
où les héros, après combat ou épreuves, doivent passer par une période de
marge, de solitude, la figure de l’ermite est elle-même une image du passage
puisque ceux qui nous sont décrits comme prud’hommes le sont de par leur
origine (ils furent autrefois de braves chevaliers qui ont choisi de fuir le
monde, et parfois même sont identifiés comme proches parents des chevaliers de
la Table Ronde). Ils donnent des conseils éclairés aux chevaliers avant de leur
faire partager leur retraite, sise au creux forestier d’une nature protectrice
et joignent d’ailleurs à l’accueil spirituel celui des soins physiques et
médicaux.
Donnons-en quelques
exemples.
a) les héros arthuriens et les ermites.
L'ermite Ogrin est sollicité
par Tristan et Yseut lorsque, après leur période de réclusion volontaire, les
deux amants se repentant pensent à revenir à la civilisation. C'est lui qui
facilitera le passage de l'état naturel où ils s'étaient complu à celui qui
leur permet de restaurer le lien social.
Chez Robert de Boron (le Petit Saint Graal) [3],
Perceval, après avoir échoué par sa niaiserie, à restaurer la virilité du riche
Roi Pêcheur et à rendre la fertilité à sa terre, a essuyé de vifs reproches et,
désespéré, a voyagé sept années sans entrer dans une église. Un jour de
Vendredi Saint, (jour de la Croix adorée)
alors qu'il erre en armes dans une forêt, trois chevaliers lui reprochent sa
conduite et l'invitent à se rendre chez un ermite voisin au cœur de la forêt.
Celui ci l'accueille, le confesse et lui demande de raconter ses aventures. Il
interprète alors le récit en lui annonçant la mort de sa mère, sa propre sœur,
et lui révèle que le Roi gardien du Graal est son frère, puis l'ayant absous,
et gardé deux jours (jusqu'à Pâques), il le renvoie dans le monde, là encore,
l'ermite fait office de "passeur". On retrouve la même situation chez
Chrétien de Troyes dans le Conte du Graal.
Dans le manuscrit du Mans[4]
un des plus anciens que nous possédions, cette présence du merveilleux véhiculé
par les situations forestières est clairement mise en relation avec les figures
érémitiques:
- dans le prologue du Grand Saint Graal[5],
le clerc qui reçoit mission céleste d'écrire les aventures du Graal à la gloire
de la sainte Trinité, raconte avoir été conduit en forêt par une bête étrange
pour retrouver un manuscrit perdu. Ils arrivent jusqu'à un ermitage où se tient
un homme en habit religieux qui se jette à ses pieds et lui demande sa
bénédiction.
« Et lors nous entrâmes en une moult profonde vallée plaine de
moult hautes forêts épaisses. Et quand je fus au fond de la vallée, je vis
devant moi, une loge et devant l'huis était un homme de religion, vêtu d'une
robe de religion qui était vieux et ancien. Et quand je le vis, je fus rempli
de liesse et rendis grâce à Notre Seigneur de la compagnie qu'il m'avait ainsi
donnée. Et quand il me vit, il ôta son capuchon et se jetant à mes pieds, il me
demanda de le bénir et je le priai de se lever car j'étais un pêcheur qui ne
pouvait le bénir. »[6]
Après l'avoir hébergé une
nuit, l'ermite le conduit au Pin des Aventures où sourd une étrange fontaine au
sable rouge comme sang, à l'eau froide comme la glace et qui avait trois fois
par jour la couleur de l'émeraude et l'amertume de la mer. On reconnaît là les
couleurs de la Trinité, l'ermite venant prendre ici la relève des êtres
surnaturels qui hantent d'ordinaire dans les versions anciennes les sous bois.
Ils passent devant la fontaine singulière et, prés du lac de la reine, trouvent un ermitage
pour y passer la nuit. Dans une chapelle, ils rencontrent un démoniaque qui se
nourrit d'herbes et de racines, il s'agit d'un ermite revenu à la sauvagerie.
Après l'avoir délivré des démons, l'auteur célèbre la messe et a la vision d'un
homme qui verse des pommes et des poires dans son sein. A son réveil, l'homme
est là en chair et en os avec ses fruits, il en donne à l'ermite et ils sont
nourris par la fontaine pendant neuf jours. C'est ensuite que l'auteur, ayant
retrouvé le manuscrit disparu, commence à écrire, comme si son passage par la
vie érémitique avait été propédeutique à sa mission sacrée, la rencontre avec
l'ermite ayant été initiée par cette bête singulière figure de la sauvagerie,
comme si l'accès au spirituel ne pouvait être donné sans la violence d'une
intrusion dans l'animalité, thème cher aux gnostiques.
De telles rencontres ne
cessent d'habiter le récit.
- toujours, dans le Grand Saint Graal, Sarracinte, femme
chrétienne d'Evalach le méconnu, roi de la cité de Sarras, a reçu les soins et
bons enseignements d'un ermite, Saluste.
Or une bête cruelle « à la croupe de goupil et à la queue de lion »,
ravage le pays. Elle est poursuivie dans la forêt par le frère de Sarracinte
qui disparaît.
Après la vision du Christ
qui apparaît à Sarracinte, celle-ci retourne à l'ermitage pour y trouver
l'ermite décédé. Elle participe à son ensevelissement et ses sergents et sa
cousine se convertissent à la foi chrétienne, prélude de ce qui adviendra à
Evalach lui-même et à toute sa cité. Ils sont baptisés au nom de la Sainte
Trinité et Jermone prend la relève de Saluste comme ermite tant cette fonction
est indispensable à l'équilibre du royaume.
Nous retrouvons là des
thèmes similaires et une même fonction attribuée à l'ermite et à la forêt.
- dans ce même roman, on
voit ainsi le Jour de La Croix adorée (Sainte Croix), le roi Lancelot l'ancien
entrer en la forêt périlleuse pour requérir le service d'un ermite. Après avoir
assisté aux offices, il voit une fontaine où il va boire et se fait couper le
cou par derrière par un mari jaloux dont il a séduit l'épouse. L'eau continue
de bouillir jusqu'à l'arrivée du fils de Lancelot tandis que des gouttes de
sang surgissent de la tombe de Lancelot et que tous les chevaliers blessés qui
touchent à ce sang sont guéris.
Dans la Vulgate du Lancelot en prose
(Lancelot propre[7]),
les ermites et les ermitages sont aussi des passages obligés des héros.
Gauvain, parti de Caerlion
en compagnie de neuf chevaliers pour aller à la Douloureuse Garde, passe la nuit chez un ermite qui, dit le texte, « avait appartenu à la maison du roi
Arthur aux premiers temps de son règne ». L'ermite les accueille avec
joie et prophétise que le premier à entrer à la Douloureuse Garde, « sera le fils du roi mort de deuil ».
(soit Lancelot, fils de Ban).
Le même Gauvain, ayant
rencontré dans sa quête un homme de religion vêtu de blanc apprendra que la
forêt des aventures est grande, dangereuse et pleine de pièges et que trois
ermitages y sont : l'Ermitage du
Carrefour, celui qu'on appelle
l'Ermitage Caché, ("l'Ermitage
Repost" dans le texte) lequel se trouve dans l'endroit le plus sauvage
qu'on aie jamais vu et l'Ermitage de la
Croix ou « fut asise la première
croix qui onques fut en la Grande-Bretagne et dans toutes les contrées deça la
grande mer[8] ».
Cette localisation des ermitages n'est pas inintéressante: ils sont situés sur
des points de rencontre (fonction de passage et nous avons montré
ailleurs comment le Passais et le petit Maine étaient contrées d'ermites), cachés
au cœur de la sauvagerie et liés au sacré originel, le chiffre trois
lui-même revenant de façon obsédante dans le récit.
L'ermite qu'il rencontre au
pays de Norgales lui apprend qu'il a eu comme maître et compagnon un chevalier
qui a été un religieux très dévot jusqu'à ce que la pression du monde lui fasse
abandonner cet état. Il confie à Gauvain que Lancelot est son proche parent et
lui prodigue de bons conseils. on voit là poindre à nouveau le motif de la
gémellisation des situations du clerc et du chevalier.
Un autre ermite, celui de la
"Montagne Ronde" (ou rouge selon les versions) lui donnera la
clef d'un passage périlleux.
Ailleurs, c'est Lancelot lui
même (le chevalier blanc) qui, après avoir conquis la Douloureuse Garde, arrive
dans un ermitage. L'ermite, qui est très âgé fut un des plus beaux chevaliers
qui soient sous le ciel, il s'est fait religieux dans la fleur de son âge après
avoir perdu ses douze fils en moins d'un an. Il reconnaît Lancelot et lui donne
de judicieux conseils grâce auxquels celui-ci déjouera un complot contre le
roi. Ayant, dans cette aventure, fait prisonnier un chevalier, Lancelot le
ramène chez l'ermite dont il utilisera la médiation pour ramener la paix entre
Brandis des Isles et la maison d'Arthur.
Plus tard, c'est encore la
maison de l'ermite du Plessis que
Lancelot blessé grièvement choisit pour se soigner[9].
Il y reste jusqu'à ce qu'il soit « vif,
alerte et très désireux de porter les armes ».[10]
De même, Hector des Mares
arrive prés d'un fontaine nommée La Fontaine de l'Ermite qui guérit ceux qui,
blessés, boivent de son eau. Apparaît ici avec récurrence la fonction
thérapeutique de l'ermite.
Le roman nous apprend encore
que les ermites sont prud'hommes au grand savoir lorsque l'un d'eux se présente
au camp d'Arthur pour lui faire des reproches sur sa vie et ses manquements[11].
Ici, l'ermite consacre au sens fort la christianisation du mythe forestier en
même qu'il prend la relève des êtres surnaturels qui la hantent. Il guérit ou
participe de la guérison des chevaliers, il est médiateur, conseille les héros
et prophétise.
Labiel, roi de Perse, dans le
Grand Saint Graal[12]
en fait l'expérience qui, s'étant rendu auprès d'un ermite dans la forêt, se
voit par lui :
- instruit des principes de
la religion chrétienne,
- se fait expliquer une
vision,
- est soumis à une processus
d'initiation chrétien puisque l'ermite le dépouille de ses vêtements, le fait
entrer dans une pierre creuse, le baptise et le revêt d'une robe blanche.
b) forêt et eaux.
La forêt arthurienne est
souvent décrite dans les romans, elle est toujours sauvage, "longue et lee", (large), la terre y est « chétive, gaste, déserte », et il
est souvent précisé que les bêtes n'y peuvent vivre (Forêt Bleue de Norgales[13]).
tandis que celle où se tient le lac de Viviane « surpasse en beauté toutes celles de Gaule et de Petite Bretagne[14] ».
Espace parfaitement
mythifié, la forêt médiévale est un espace où tout devient possible en termes
de sauvagerie: rencontre de monstres, de chevaliers pris de folie (cf La Folie
Tristan, les accès de Lancelot), d'ermites démoniaques (cf supra) avec
l'homonymie que nous constatons entre la feuillée et la folie, comme si en
rejoignant la nature sauvage, les héros arthuriens abandonnaient peu ou prou
leur civilisation. En même temps, c'est un espace qui protège tout en imposant
des épreuves et Claude Letellier[15]
a montré son ambivalence.
C'est le fait de Tristan qui
devient, lors de sa réclusion avec Yseult, au creux des bois habile à la chasse
puisqu'il est doté de l'arc qui ne faillit jamais et mène avec son chien une
vie véritablement primitive, vivant sur le milieu. Dans sa fin elle-même,
Tristan retourne comme on le sait au végétal puisque un arbre ou un rosier
issant de sa tombe va enlacer celui qui sort de celle d'Yseult la Blonde, image
sublime qui les renvoie l'un et l'autre à l'ordre naturel.
C'est aussi vrai de Perceval,
décrit comme un jeune sauvage, niais et mal dégrossi qui est fasciné en voyant
les chevaliers passer en forêt, il les prend pour des anges, ça l'est encore de
Lancelot élevé au fond d'un lac au milieu de la « forêt qui surpassait en beauté toutes les forêts de Gaule et de la
Petite Bretagne... et s'appelait "Bois en Val » (Lancelot en
Prose).
La Forêt est encore dans le
roman arthurien le lieu de manifestations surnaturelles et terrifiantes comme
l'a montré Francis Dubost[16] ;
lieu délaissé de Dieu, elle hante l'imagination médiévale en y mettant en scène
diverses figures de l'étrangeté : monstres, bêtes, forestiers obtus et
nains difformes s'y trouvent sans cesse sur les chemins de la Quête
qu'empruntent les chevaliers.
Elle est aussi le lieu de
leur initiation, puisque c'est là, à la faveur d'une pénombre propice que les
ermites dépositaires de la sagesse divine et sociale leur prodiguent conseils
et paroles sacrées, c'est là encore qu'ils sont mis sur le chemin de leur
quête, que s'opère leur transformation.
Elle est encore le repaire
de Merlin, l'initié, personnage hybride, né d'une humaine
et d'un démon, conseiller d'Arthur. Figure énigmatique et omniprésente, il ne
sera défait que par le piège que lui tend Viviane et auquel il s'est lui même
exposé. Après avoir été le conseiller du roi qu'il a porté au pouvoir, captif
de la prison d'air, il est désormais
reclus dans son amour et son étrangeté. « Et
le scela tout endormi en une cave dedans la périlleuse forêt de Darnantes[17] ».
Dans les romans écrits sous
influence cistercienne, la figure des ermites recouvrira la sienne, comme en
témoigne le passage du Petit Saint Graal (ms
Huth) où l'on voit, à la fin du roman, Merlin prendre congé de Blaise et de
Perceval et leur dire qu'il se bâtira en dehors de la forêt un ermitage où il
se retirera et prophétisera quand Notre Seigneur lui révélera l'avenir, on
l'appellera communément "Merlin
l'esplumeors", dit le texte qui conclut « dés lors Merlin fut perdu pour le siècle et l'on ne parla plus que du
Graal ».
On admirera la
christianisation du mythe celtique ainsi opérée par le roman.
Dans la constellation des
signes qui environnent l'espace
forestier, les romans arthuriens influencés par les cisterciens, nous
montrent cette même présence des
arbres, en lien avec les séjours célestes et les fontaines, lesquelles sont des
points d'accès aux séjours chtoniens, qui participent de la rencontre des fées
et de personnages et animaux surnaturels.
Le Joseph d'Arimathie nous
fait voir, alors qu'il est en marche vers Avalon, Joseph, détenteur du Graal,
pénétrer dans la forêt de Darnantes après avoir franchi une rivière profonde et
humide, la Cilice. Il y aperçoit un cerf blanc qui portent à son col une chaîne
d'or, il est accompagné de quatre lions, il y verra la figure du Christ qui est
ici signifié par le blanc et l'or, couleur respectivement de la virginité et de
l'humilité., les quatre lions figurant les quatre évangélistes.
C'est l'espace forestier qui
permet cette double rencontre, ce double passage. inaccessible à l'espace
urbain. Entre l'air et les eaux, la forêt forme bien la dialectique
fondamentale de l'imaginaire naturel, elle est aussi l'antichambre de l'au
delà..
Un autre élément s'y trouve
souvent accolé, c'est le motif de l'eau, souvent représenté par la fontaine dont on voit bien le lien
imaginaire avec la forêt, comme valorisation de la quête de l'intimité, parenté
recherchée par les romanciers entre le refuge des sous bois et celui de l'eau
matricielle procurant réconfort.
Hector des Mares et un
écuyer arrivent ainsi à la Fontaine de
l'Ermite : « C'est la meilleure fontaine du monde
et nul n'en boit de son eau sans être aussi frais et aussi bien portant que si
jamais mal ni aucune douleur ne l'avaient affecté. »[18]
Hantée par les fées, elle apporte aux lieux fréquentés
par elles, cette qualité qui est celle du locus
amoenus,[19]
facilitant le passage dans l'Autre Monde aux humains qui viennent à s'y égarer,
entreprise risquée et périlleuse qui vient encore renforcer la fonction
initiatique de la forêt médiévale.
Ainsi, les rencontres
spirituelles ont parfois lieu, au milieu des eaux d'une rivière, dans une île,
figure de l'au-delà comme celle de Pellès le riche roi pêcheur. Avec lui,
Lancelot peut aborder, même si sa contemplation lui est interdite, le mystère
du Graal qui ne lui apparaîtra que
voilé au milieu d’un cortège d’anges et d’une étrange procession dont on
célébrait encore la mémoire au diocèse du Mans au XIIème siècle[20].
A sa vue Lancelot « sent ses yeux le
brûler comme un brasier ardent et tombe comme mort [21]».
INTERPRETATION.
Pour comprendre la
convergence que nous relevons ici entre l'espace forestier tel qu'il est campé
dans les romans arthuriens et les rôle des ermites, nous proposons deux séries
de remarques, les unes on trait aux conditions socio-historiques de
l'élaboration des romans arthuriens aux marches de l'Ouest et l'on y verra
grande prolifération des schèmes qui se trouvent repérés dans le roman, les
autres concernent une approche mythologique des personnages, ces deux
interprétations semblent en effet converger pour définir le processus
d'enromancement de la Matière de Bretagne.
Dans un
travail précédent, nous notions que tous les clercs ayant composé des récits
arthuriens s'étaient trouvé dans la mouvance des souverains anglo-normands et notamment
de la reine Aliénor d'Aquitaine, le devant sans doute à ses origines (elle
était la petite fille de Guillaume IX d'Aquitaine, le prince des troubadours)
et à ses intérêts: la théologie trinitaire, voire la gnose orientale, et dans
l'ensemble, nous concluions que la matière de Bretagne est, pour l'essentiel,
anglo-normande.
La forêt de Brocéliande, qui
apparaît dans le Lancelot propre sous le nom de Brequelande, s'étendait, à
l'époque mérovingienne de Bellème à Vannes, formant frontière entre les anciennes
provinces de Bretagne, du Maine, d'Anjou, de Normandie et le royaume de France,
deux pays aux marches en portent témoignage comme espace féerique: le Passais
et le Petit Maine.
Aux confins de
Bretagne, de Normandie et du Maine, le Passais a formé de tous temps une contrée intermédiaire entre ces
provinces que reliaient de très anciennes voies antiques dont l'une d'elles, le
"chemin potier", joignait
entre eux les bassins des rivières de la Mayenne, de la Sonce, de la Varenne et
de la Vire(3)., et ce terroir du Passais, s'il a quelque
chose à voir avec le pays des Grandes Merveilles dont parlent les anciens
romans, a, de ce fait, servi de cadre et par là même condensé un grand nombre
d'événements festifs qui en font, au plan symbolique, un lieu de passage. En
témoignent les parallélismes frappants observés entre nombre de situations
hagiographiques locales et la vie légendaire de quelque héros arthuriens. Connu
longtemps pour ses étendues boisées escaladant une succession de collines
formées par le vieux relief armoricain, il devint très tôt un haut lieu du
druidisme dont monuments mégalithiques et traditions rappellent l'emprise.
Dans la région
des Marches de Petite Bretagne et de Normandie, que nous avons étudiée, les
légendes hagiographiques décrivant l'arrivée des moines civilisateurs au VIème siècle les représentent souvent occupés à détruire les bois consacrés
aux "faux dieux", telles
celui des prêtresses d'Eros qui avaient élu domicile sur le territoire de
l'actuelle paroisse de St Bômer les Forges, du nom du saint qui brisa les
autels de leur culte, leurs idoles et menhirs. Ainsi, les saints ermites
fondateurs de la civilisation dans ces contrées retirées se trouvèrent tôt
nantis, dans l'âme populaire, par une sorte de retour des choses, des vertus
que l'on attribuait précédemment aux divinités des sources et des bois, le
culte nouveau se superposant à l'ancien sans trop de difficultés au niveau de
la pratique quotidienne.
De même le
Petit Maine, qui le prolonge vers la Bretagne a vu, à l'époque où s'écrivaient
les romans de la Table Ronde, s'établir sur son territoire de nombreuses
situations qui ont incontestablement servi de matrices à celles du roman
arthurien.
Ce que nous
savons du développement des Abbayes normandes "en marche", de Lonlay l'Abbaye, de Mortain, de Savigny et du
Mont Saint Michel vient encore nous conforter dans cette opinion. Leur histoire
est en effet révélatrice des liens qui existent entre le roman arthurien et la
vie érémitique aux marches de Normandie et de Petite Bretagne.
Prenons
exemple de l'Abbaye de Savigny, proche du Mont Saint Michel, en limite du Petit
Maine et de l'Avranchin. Elle trouve son origine avec la prolifération des
ermites bien connue dans la région qui nous occupe au début du XIIéme siècle, autour d'Avranches, en cette fameuse forêt que nous avons
identifiée ailleurs à celle de Darnantes du Roman en prose, lorsqu'en 1112,
Saint Vital, chapelain de Robert de Mortain, prédicateur de la première
croisade, et évangélisateur du Cotentin, du Bas Maine et de la Bretagne fonde
cette abbaye sur un chemin montois.
Cet élève de
Robert d'Arbrissel, lui-même fondateur de l'Abbaye de La Roë et de Fontevraud, fut sans doute
sensible aux critiques [22]se faisant jour dans le
clergé dont plusieurs dignitaires s'élevaient avec vigueur contre ces ermites
(on en dénombra jusqu'à 140) qui vagabondaient et prêchaient dans les forêts
avoisinantes, donnant parfois sans doute un témoignage peu en rapport avec les
règles de l'Institution. Ayant obtenu de Raoul comte de Fougéres, la concession
d'un territoire il y établit une abbaye qui essaimera dans tout l'Ouest et en
Grande-Bretagne (68 fondations aux XIIème et XIIIème siècles) et connut un
développement considérable sous la direction de ceux que l'on a appelés Les
"Saints de Savigny"([23]), elle connut ainsi les
faveurs d'Henri II qui la visita deux fois([24]) et l'on retrouve
analogiquement cette situation souvent décrite dans le roman du roi venant se
faire conseiller par les ermites.
Ainsi, ces
ermites apparaissent dans les premières chartes de Savigny et sont connus pour
avoir construit des chapelles dans la région du Passais, leur mode de
prédication itinérant, leur évangélisation et leur vie érémitique leur attirant
de nombreux fidèles. En 1114, un chanoine de Chartres, Rainard, mettra en
relation leur vie érémitique et celle de la vie de l'Eglise primitive, preuve
incontestable d'un retournement de l'opinion.
Sise à
l'emplacement de défrichements tardifs, au cœur de la Terre Gâte, dont
témoignent les toponymes locaux : St Laurent ou Aubin-de-Terregatte,
Désertines, Landelles, Louvigné-du-Désert, il semble évident que son paysage
aie pu impressionner les clercs de la cour d'Henri II chargés des récits
arthuriens, de même la prolifération des ermites dans les romans arthuriens
semble être proportionnelle à celle de la région, au début d'un XIIéme siècle
qui voit un renversement des perspectives de la vie religieuse, l'Eglise
favorisant l'encadrement des ermites toujours un peu suspecté de gnosticisme. A
la prolifération érémitique notée par les historiens dans l'ouest de la France
au XIIème[25] répondent comme en écho, au
siècle suivant, les situations décrites dans le roman, l'érémitisme se survit
dans l'imaginaire littéraire, et Brocéliande est une nouvelle Thébaïde.
Savigny est
également un lieu de transmission des récits hagiographiques et légendaires du
fait de ses possessions ou filiales outre Manche puisque dés 1138, l'abbaye
comptait 10 fondations en Angleterre dont deux situées en Cornouailles
britanniques (Quarr Abbey 1132 et Buckfast 1136). Un des ermites contemporains
de Vital, Raoul de la Futaie, fonda Loc-Maria prés de Quimper et l'Abbaye de St
Sulpice la Forêt entre Rennes et Fougères. Tout se passe en fait comme si la
Matière de Normandie avait pris le chemin breton.
A Savigny,
abbaye des Marches de Maine et de Normandie, se réalise sans doute l'hypothèse
de Jean Frappier([26]) estimant que la rédaction
et la diffusion des romans de la Table Ronde n'avaient pu se réaliser que dans
le cadre de la civilisation anglo-normande et de ses abbayes, à partir de lieux
où cette civilisation était en contact avec les sociétés celtiques et aussi
avec celles du Midi. Les processus littéraires d'enracinement déjà cités y ont
assurément trouvé et une matière hagiographique (les Vitae) et un carrefour mythico-légendaire, et une situation
historico-géographique propres à les inspirer.
Gilles Susong[27] a fort bien mis en évidence
la composition dans la Vita du Bienheureux Pierre d'Avranches, ancien trouvère
converti à la vie monacale, vénéré de son vivant par Henri II, d'un récit dit « de la glorieuse révélation faite à un
chevalier breton » lequel, ravi au ciel aperçut, au pied du trône du
Christ, un moine blanc de Savigny, Pierre d'Avranches. Récit qui n'a pas manqué
d'influer sur les récits graaliques.
On retrouve, dans ces
situations historiques, des images qui nous sont familières telles qu'elles ont
été développées dans le roman.
b) L'ermite du roman arthurien, figure possible du "précepteur des
dieux".
Lancelot-saint Fraimbault, le prêtre-roi, gardien du
bocage sacré.
Le parallélisme est souvent
très frappant entre les légendes hagiographiques recueillies dans les solitudes
boisées des forêts de l'Ouest et celles des chevaliers de la Table Ronde.
Nous avons montré ailleurs[28],
après le père Moisan, les correspondances entre les .figures hagiographiques
des marches du Maine, les saints ermites Ernier, Fraimbault, Bômer et celles de
chevaliers arthuriens: Léonce de Payerne, Lancelot du Lac, Baudemagu et avons
même proposé, lors du congrès de la SMF, à Bagnoles de l'Orne, des
rapprochements entre la figure mythologique de saint Ortaire, l'ermite du
Bézier et celle d'Arthur lui-même.
Lancelot
lui-même connaît cette mutation puisqu’il finit ses jours comme moine chantant
messe. En témoigne, nous l’avons vu, sa géméllisation avec les traits de
l’ermite Fraimbault où se rencontrent les deux piliers de toute société
indo-européenne, le guerrier et le clerc.
Saint
Fraimbault de Lassay, issu d'une famille noble, éduqué comme futur chevalier à
la cour de Childebert, affronte la vie religieuse par une rupture radicale avec
son milieu, s'exilant volontairement, tel un chevalier errant. Sa quête, pour
être spirituelle, n'en est pas moins héroïque et il y a du chevalier dans ce
moine qui s'enfonce au VIéme siècle de notre ère dans
les solitudes boisées du Passais pour y répandre la bonne nouvelle. On a vu
cette situation reprise dans le roman.
Fils de Ban de
Banoïc et de la reine Hélène, Lancelot a reçu en baptême le nom de Galaad, il
est issu d'une lignée prestigieuse, celle de Joseph d'Arimathie premier
possesseur du Saint Graal.
Lancelot est
enlevé, à sa mère tout bébé et ravi au royaume sub-aquatique de la fée du Lac,
Viviane, où il vivra, d'une certaine façon, dans cet autre monde avant de
revenir chez les humains. Ce qui accentue encore le caractère hybride du
personnage participant, par son père Ban de Banoïc, d'une royauté incarnée dans
une lignée charnelle et par sa mère d'adoption, l'ondine, d'une essence
différente comme saint Fraimbault est prêtre et patricien. L'eau joue également
un grand rôle dans l'histoire de ce saint puisqu'il échappe aux soudards que
Childebert a lancé à sa poursuite à la faveur d'une grotte aquatique qui le
dérobe à la vue de ses poursuivants. Tous ses lieux de culte connus sont en rapport
avec fontaines, rivières et cultes aquatiques. Enfin, comme Lancelot, le Valet
de Trèfle, Frambaldus de Laceio (du Lac) est un ondin comme en témoigne la
pierre tombale de l'époque mérovingienne que l'on montre à l'angle du mur
nord-est de l'église de St-Fraimbault-de-Lassay. Elle porte un trèfle, symbole
alchimique des ondins.
Les
personnages des ermites sont très présents, on l'a vu, aux marches du Maine,
saint Innocent, évêque du Mans, ayant envoyé au VIème siècle toute un héroïque escouade de moines qui, après un séjour à
l'abbaye de Mici, créeront la civilisation chrétienne dans les solitudes boisées
de ces régions frontières.
Les tarots
nous montrent l'ermite, (Arcane 9) en
vieil homme revêtu d'une cape, appuyé sur un bâton qui, dans certains cas,
porte un chapelet de sept roses tandis que s'enroulent autour deux serpents. Il
a une lampe à la main. D'un point de vue initiatique,([29]) l'ermite, a comme lettre
de référence dans l'alphabet hébraïque le TETH, proche du TAU grec. Il signifie initiation, soit dans le plan divin où l'ermite est
celui qui reçoit la révélation, soit dans celui de l'homme où il indique la
voie initiatique. D'un point de vue strictement matériel, l'ermite est figure
de perfectionnement.
« Un vieillard enveloppé d'un manteau avec une
crosse dans une main et une torche dans l'autre qui chemine sur une route
inconnue. »
Ce vieillard
qui a vécu la vie, possède l'expérience de ses chutes nombreuses et diverses et
se trouve au seuil du temple.
Le testament
de l'ermite est celui du droit et de la nécessité où se trouve l'humanité
d'entrer dans la voie initiatique pour intégrer le plan divin, réaliser le
vieux rêve des premiers hommes: devenir semblables aux dieux.
Sur ces bases,
on peut sans doute conjecturer que les lieux des saints ermites des bocages sus
mentionnés, à l'écart des agglomérations, en des lieux consacrés par l'usage à
des fins de propitiation étaient aussi lieux de marge, voire de réclusion pour
les jeunes générations promues à l'intégration sociale, comme ils le sont encore
aujourd'hui pour les moines qui y vivent dans la sainteté et la mortification.
Nous en avons vu ce scénario décrit dans le roman à propos de la conversion de
Labiel.
Nous avons montré, dans
notre communication au congrès de la SMF de Bagnoles de l'Orne, sur l'exemple
de saint Ortaire, que ce processus de gémellisation entre ermite et chevalier
fonctionnait également sur d'autres situations. Le roman nous indique en outre
qu'il est réversible.
Reste à saisir
comment des personnages religieux et campés comme tels ont pris une telle
dimension dans l'imaginaire arthurien où ils sont associés à des situations de
marge (forestières).
L'analyse mythologique sur ce point nous est
secourable.
1) Georges Dumézil[30]
nous indique que Brahspati le dieu
qui s'incarne en Drona est
l'équivalent du brahmane terrestre et plus précisément du purahita, du chapelain, le maître spirituel ou précepteur des dieux
dans le Mahabharata..
Sa figure est,
comme celle de Lancelot-saint Fraimbault, double puisque Brahaspati est aussi
un archer mystique dont l'arme est le RTA, l'ordre cosmique et naturel.
La flèche du
dieu devient entre les mains du héros la flèche ordinaire des combats et des
champs de bataille, comme la lance du chevalier devient crosse chez l'ermite.
Le Rig Veda
nous montre Drona engagé dans plusieurs récits où il aide Indra combattant
notamment dans le mythe de la délivrance des vaches où il est revêtu de traits
directement guerriers comme on a vu dans le texte arthurien un chevalier confit
en sainteté abandonner l'ermitage pour aller en découdre. Il met en morceaux
des forteresses, domine les ennemis, les disperse, gagne les victoires, est
invoqué dans les entreprises guerrières où il est « un prêtre doué ans le combat », il n'est jusqu'à la figure
populaire du frère Tuck de Robin Hood qui n'en rende compte..
Dumezil nous
indique d'ailleurs que le prêtre ne devait pas se trouver moins engagé dans
l'action que l'archevêque Turpin aux côtés de Charlemagne ou le druide Amorgen
aux côtés du roi Eremon.
Drona reste pourtant
fondamentalement brahmane et Dumézil nous indique que Drona est un personnage
ambigu, à la fois brahmane et guerrier et même brahmane et roi, comme nous
avons vu Lancelot né fils de roi devenir moine chantant messe, tandis que le
roman insiste sur le doublet en rappelant avec constance que tel ermite était
naguère brave chevalier et que tel autre est proche de famille avec Lancelot.
Nous sommes ici dans l'univers que nous décrivions l'an dernier au congrès de
la SMF en concluant que Lancelot apparaissait bien, in fine, transcendant
toutes les classes et assumant toutes
les fonctions en assumant la mise en contact d’aspects parfaitement
antagonistes, Lancelot voué au vocable de la Trinité (il est le valet de
Trèfle), concluions-nous, est bien le Médiateur et nous nous fondions sur deux
arguments appuyant cette hypothèse:
- la cohérence, le fait que
la société médiévale connaît un passage important aux XIIème-XIIIème siècles, celui de
l’héroïsme à la sainteté, dont témoigne l’essor des croisades et que la sublimation
du héros vers une position hors normes et hors classes est en cohérence avec le
projet des donneurs d’ordres, fonder un ordre nouveau, synthèses de trois
civilisations, l’occidentale, la celte, l’orientale.
- le contrôle,
subséquemment, il s'agissait
d'exercer en même temps un contrôle social dans le passage à la sainteté et
réconcilier les deux types de l’idéal médiéval en formant une société meilleure
« associant pour toujours les
spécialistes de la politique , du droit et de la plus haute religion et ceux de
la guerre avec les maîtres de la richesse et de la fécondité »[31].
Il arrive
souvent, précise Dumézil que ce sont les débuts, les enfances qui révèlent le
mieux la nature, la signification idéologique des personnages. Nous en avons
ici une nouvelle démonstration, Drona, même s'il se comporte en ksatriya et en roi est né brahmane et
demeure brahmane dans sa deuxième vocation, il vit dans un ermitage où il
reçoit le roi Drupada.
De même la
figure christianisée saint Fraimbault de Lassay (le lancier du lac) est né de
fils de roi et, Fraimbault séparé des siens par une citerne dont l'eau s'enfle
à Yvry sur Seine, il passe très tôt dans les ordres, tout en gardant une grande
influence sur les rois puisque Hugues Capet sera élu roi par ses pairs devant
le tombeau de Fraimbault à Senlis tandis que sa figure en abîme littéraire
Lancelot du Lac, né dans l'entourage de la reine Aliénor, suivra un chemin
symétriquement inversé devenant moine sur la fin non sans que les situations
décrites dans le roman ne nous aient préparés à cette issue par l'itération des
situations. Né fils de roi, il est éduqué dans le monde de l'Au-delà par la fée
Viviane et y acquiert un caractère ambigu.
Drona est
encore associé à un puits puisque par la vertu des ses flèches, il fait
remonter d'un puits des cailloux et un anneau qu'il y a jeté, puits doté de
qualités exceptionnelles puisqu'il contient le SOMA (plante qui grimpe le long des parois du puits) et
le sucre.
On a vu
comment les fontaines du roman arthurien apportaient abondance et nourriture,
guérison aussi aux héros.
De ce puits,
la rivière-déesse Sarasvasti s'élance avec ses flots comme, dans l'hagiographie
frambaldienne, la citerne s'enfle pour protéger le jeune homme ou comme, à la
Fosse Arthour, la Sonce sort de son lit quand les amants royaux se retrouvent
avant le coucher du soleil.
Nous avons
inventorié nous même nombre de sites aux marches du Maine où des reliquaires
d'anciens ermites, plongés dans les fontaines les jours hernus, au coeur des
forêts du bocage, déclenchaient l'ondée bénéfique.
2) Si l'on regarde du côté de la mythologie celtique,
on retrouve un même rapport structurel entre druide et roi.
Christian
Guyonwarc'h et Françoise Leroux[32]
nous indiquent que les druides sont entourés d'un grand respect, que le druide
siège à la droite du roi qui ne doit pas parler dans ses assemblées avant lui.
« La royauté celtique, indiquent-ils, a vécu à l'ombre et pour ainsi dire sous
la protection du sacerdoce druidique »[33]
et qu'en outre l'un des attributs du dieu Diancecht,
le médecin, dans la seconde bataille de Mag
Tured, est la fontaine de santé où est guéri le dieu forgeron Goibniu. Parfois remplacée par un
fleuve, une rivière ou un ruisseau, elle est toujours en relation avec les
plantes qui guérissent. « Cette eau
merveilleuse ressuscite les morts quand les dieux et les druides s'en mêlent.
Si les vivants l'utilisent, elle les rajeunit et les préserve. »[34]
Comme l'ermite
le druide est ainsi lié à la forêt, c'est là dans le nemeton, le sanctuaire qu'il tient les réunions religieuses, et
Guyonwarc'h nous indique que forêt et temple sont pour les celtes des notions
équivalentes, synonymes ou interchangeables[35].
Il cite Lucain, lequel, dans Pharsale (453-4), indiquait que les druides habitaient de profonds
sanctuaires dans des bois reculés où sourdaient de noires fontaines.
Pompenius
Mela, pour sa part, (III-2),
soulignait le fait que la forêt était sacrée et Jules César notait qu'elle
était toujours proche d'une résidence royale.
Il ne nous
étonnera donc pas que les ermites du roman arthurien et leurs doublets
chrétiens, nos ermites du Bas-Maine[36],
renouvelant la vie des solitaires de la Thébaïde soient, en arrière plan,
accompagnés d'un cortège d'images qui les apparentent aux mythe du précepteur
des dieux. Comme lui ils se nourrissent de racines, habitent des grottes
obscures, prés de fontaines guérisseuses, recherchent les endroits les plus
solitaires pour y établir leurs ermitages, ou encore la proximité de
carrefours, sont de véritables héros en même temps que des saints. Le mythe a
essaimé à la fois dans les vitae du
Haut Moyen-Age et dans les oeuvres littéraires des XIIème-XIIIème siècles. Les situations lui
empruntant l'essentiel de leurs structures.
Les multiples
occurrences de la forêt, comme topos de l'Imaginaire, viennent, dans le roman
arthurien comme dans l'hagiographie, renforcer la constellation d'images
mythologiques qui facilite cette transmission. Mieux, elles la déterminent en
la dotant d'un véritable bassin sémantique dont le poète Baudelaire avait
encore présent la force et la prégnance lorsqu'il écrivait, dans Les Fleurs du
Mal :
« La nature est un
temple où de vivants piliers
laissent parfois sortir de
confuses paroles,
l'homme y passe à travers
des forêts de symboles
qui l'observent avec des
regards familiers. »
Georges
Bertin.
depuis
la forêt du Perche,
en
la fête de Lugnasad,
le
1er août 1997.
Bibliographie sommaire.
Bertin
Georges, La quête du saint Graal et
l'Imaginaire, Condé sur Noireau, Corlet, 1997.
Boulenger J. Les Romans de la Table Ronde, t 3, Paris,
UGE, 1971.
Dumezil
Georges, Mythe et Epopée I, Paris,
Gallimard/Quarto, 1995.
Durand
Gilbert, Les structures anthropologiques
de l'Imaginaire, Paris, Dunod, 1985.
Frappier Jean,
Le Roman Breton, ses origines, Paris,
CDU Sorbonne, 1963.
Gillard abbé, Vie de saint Fraimbault, Mayenne,
Poirier, 1886.
Guyonwarc'h
Christian et Leroux Françoise, Les
druides, Rennes, Ouest-France Université, 1986.
Hucher Eugéne,
Le Saint Graal ou le Joseph d'Arimathie,
1ère branche des romans de la Table Ronde, Le Mans, Monnoyer, 1875, 3 tomes.
Lancelot du Lac, traduit par François Mosés, Paris, Livre de
Poche Lettres Gothiques, 1991.
[GB1]
[2] Claude Letellier oppose le saltus, espace sauvage, à l'ager, espace cultivé et à la manse, espace habité in Cahiers du Cermeil N° 12 1997 et indique que, dans les romans médiévaux, les ermitages se situent toujours en lisière, soit dans un espace intermédiaire.
[3] Manuscrit Huth, in Hucher Eugéne, Le Saint Graal ou le Joseph d'Arimathie, 1ère branche des romans de la Table Ronde, Le Mans, Monnoyer, 1875, t1, p.408.
[5], Hucher, t.2 p.X-XIV.
[6] ibidem. p.26.
[7] cf Lancelot du Lac, traduit par François Mosés, Paris, Livre de Poche Lettres Gorhiques, 1991, t.1 p.535 sq.
[8] ibidem t2 p. 336
[9] ibidem t 1 p.645-7
[10] ibidem t1 p. 659
[11] ibidem t1 p. 747.
[12] Hucher op cit t2 p. LVIII
[13] Lancelot II p. 405.
[14] Lancelot 1 p.55.
[15] Letellier Claude, Tristan et Yseut dans la forêt, in Cahiers du Cermeil N° 12 1997.
[16] Dubost F. Aspects fantastiques de la Littérature médiévale, (XIIème-XIIIème siècle), in L'Autre, l'Ailleurs, l'Autrefois, Paris, Nouvelle Bibliothèque médiévale, Champion, 1991, 2vol, 1057 p.
[17] Lancelot 1: p.97.
[18] Lancelot du Lac,t.2 op.cit. p. 323-5
[19] Gallais Pierre, La Fée à la fontaine et à l'Arbre, un archétype du conte merveilleux et courtois, Amsterdam, 1992.
[20] Bertin G. La fête des lances dans l’ancien diocèse du Mans, in Les Romans de la Table Ronde, la Normandie
et au delà, Corlet, 1988.
[21] Boulenger J. Les Romans de
la Table Ronde, t 3, Paris, UGE, 1971, p.83.
(4) Bouet P: le Domfrontais de
1050 à 1150 in La légende arthurienne...op.
cit. p.73 à 94.
[22] Malenbroek (Von) Joseph,
Vital, l'ermite prédicateur itinérant, Revue
de l'Avranchin, Mars 1991, N° 346.
[23] St Geoffroy, successeur de
St Vital,
St Pierre d'Avranches, musicien
de renom,
St Hamon, préposé aux aumônes,
St Guillaume Niobé,
Le bienheureux Serlon, 4éme
abbé;
le Bienheureux Guillaume de
Tholose, 10éme abbé,
Ste Adeline, soeur de Vital,
fondatrice de Mortain. 1115.
[24] Lebreton Ch. La pénitence d'Henri II et le concile
d'Avranches, St Brieuc, Ed Guyon, 1884.
[25] Berlioz Jacques, Moines et religieux au Moyen-Age, L'Histoire, Le Seuil, 1994, p.9
[26] Frappier Jean, Le Roman Breton, ses origines, Paris,
CDU Sorbonne, 1963.
[27] Les Romans ...op.cit.. p. 65.
[28] Bertin Georges, La Quête du Saint Graal et l'Imaginaire, Condé sur Noireau, Corlet, 1997.
[29] Marcotoune S. La science secréte des initiés et la
pratique de la Vie, Paris, Champion, 1955, p.101
[30] Dumezil Georges, Mythe et Epopée I, Paris, Gallimard/Quarto, 1995, p. 222.
[31] Dumézil G. Mythe et Epopée ..op.cit. p.299.
[32] Guyonwarc'h Christian et
Leroux Françoise, Les druides,
Rennes, Ouest-France Université, 1986,
p.108.
[33] ibidem p. 113
[34] ibidem p. 144.
[35] ibidem p. 229.
[36] de Micy, abbaye de l'Orléanais, sont venus, au VIème siècle, s'établir dans les solitudes boisées des marches de Petite Bretagne ou au Maine, les saints Calais, Avit, Ulphace, Ernier ou Ernée, Alvée, Bohamade ou Bômer, Constantien, Fraimbault, qui s'attirent vite des réputations de guérisseurs, de chasseurs de démons, d'homme à la vie exemplaire par son dénuement, dans des apys où les habiatnst sont réputés pour leurs moeurs grossièreset barbares. cf Gillard abbé, Vie de saint Fraimbault, Mayenne, Poirier, 1886. On voit que ces vertus sont reprises sans coruption dans le roman arthurien.
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