La Polysémie


La polysémie postule qu'un signe, qu'un mot peut présenter simultanément plusieurs sens, et incidemment avoir plusieurs origines.

Il est pourtant d'usage de considérer un mot comme ayant une étymologie précise, univoque, sans ambiguïté : "table" vient du latin tabula, "planche, tablette", qui lui-même vient de ... Et Paris doit son nom à la tribu gauloise des Parisii. Max Müller ne disait-il pas que "chaque mot ne peut avoir qu'une étymologie, comme chaque être vivant ne peut avoir qu'une seule mère" ? C'est tout juste si, la connaissance progressant, un mot peut être expliqué de différentes façons, mais celles-ci se succèdent et s'excluent les unes les autres.

Il semble qu'en fait la réalité des choses ne soit pas aussi simple. Les mots ont une histoire, fruit d'apports multiples, d'influences, d'affinités, d'échanges, de croisements et de transformations. Ils doivent, pour exister et perdurer, trouver des échos favorables chez ceux qui les utilisent tous les jours. Et il est d'observation courante qu'une fausse étymologie ait davantage de crédit que la véritable : il est par exemple plus facile pour l'esprit de raccrocher le mot "miniature" à la "miniaturisation" de l'image des manuscrits médiévaux qu'au "minium", l'oxyde de plomb que les enlumineurs utilisaient pour rendre la couleur rouge et qui est en fait à l'origine du mot.

Les jeux de mots jouent un rôle déterminant dans l'évolution des langues. Il ne faut surtout pas les sous-estimer. Il est probable que sans eux bien des mots seraient tombés dans les oubliettes de l'histoire des langues.

Il n'est donc pas abusif de suggérer de multiples origines pour certains mots : souvent ils possèdent plusieurs sens qui se confortent mutuellement et qui ont, chacun, contribué à leur survie. Les étymologies populaires et fantaisistes ont parfois plus fait pour les définir que l'étymologie savante. Elles ne doivent jamais être écartées pour expliciter tel ou tel mot, et surtout pour interpréter les noms propres, de personnages et de lieux, a fortiori si ceux-ci sont porteurs de légendes, d'imaginaire. En ce domaine, chaque proposition, fût-elle farfelue, peut faire sens et demande à être prise en compte.

La polysémie se manifeste donc par des influences, des prises en charge d'un mot par un autre, des rapprochements suscitant des aimantations et favorisant certaines configurations : dans la formation des mots comme dans l'évolution des êtres vivants, l'acquit compose avec l'inné, et cela peut aussi impliquer le recours à ce que l'on pourrait désigner comme des "mères porteuses".