Les trois fonctions


Il s'agit là d'une des bases de la pensée de Georges Dumézil : la civilisation indo-européenne repose sur une "idéologie tripartie", c'est-à-dire que toutes les activités sociales et religieuses s'ordonnent autour de trois fonctions, qui correspondent aux "trois besoins que tout groupement humain doit satisfaire pour survivre - administration du sacré (ou, aujourd'hui, de ses substituts idéologiques), défense, nourriture". Autrement dit :
- la fonction "sacerdotale" qui concerne la souveraineté et la spiritualité. Elle est exercée par le roi suprême, les juristes et les prêtres, et est représentée par les grands dieux : Zeus, Jupiter, Mitra/Varuna ou Odin. Elle implique la justice et la sagesse.
- la fonction "martiale", qui maintient l'ordre. Elle est exercée par les soldats, les guerriers, et est représentée par Mars, Indra ou Tyr. Elle implique l'héroïsme.
- la fonction "végétative", garante de la richesse et de l'abondance. Elle est exercée par les artisans, commerçants, éleveurs et agriculteurs, et est représentée par Quirinus, les jumeaux Aswin/Nasatya ou Freyr. Elle implique la prodigalité et la générosité.

Autrement dit, selon la formule de Dumézil dans Apollon sonore et autres essais : " la puissance sacrée, la force physique, la prospérité matérielle dont l'ajustement hiérarchisé commande la vie du monde comme celle des sociétés. " Et le roi, en tant que représentant de la société, se situe au-dessus de cette répartition : il est garant du respect des règles et se doit de veiller à ce que chacun joue pleinement son rôle à la place qui est la sienne. Pour le bien et la bonne marche du peuple tout entier.

Les trois fonctions se manifestent aussi bien dans les castes du système hindou : les brahmanes, les kshatriyas et les vaishyas, que dans l'organisation sociale de l'ancienne France : le clergé, la noblesse et le tiers-état. On les retrouve avec les "talismans royaux" des textes celtiques, et notamment avec le cortège du Graal : le tailloir, qui rappelle la pierre de Fâl qui crie pour désigner le roi, représenterait la première fonction ; la lance et l'épée, correspondant à la lance de Lug et au glaive de Nuada, relèverait de la deuxième fonction, ; tandis que le vase, héritier du chaudron d'abondance du Dagda, désignerait la troisième fonction (encore que l'ordre de la première et de la troisième fonctions aient pu être inversées).

Elle apparaît aussi bien dans nombre de faits mythologiques, marqués par le chiffre 3, et est particulièrement repérable dans la mythologie celtique comme dans la mythologie française.


Bibliographie
Georges DUMEZIL, ensemble de son œuvre, entre autres : Mythe et épopée - L'Idéologie des trois fonctions dans les épopées des peuples indo-européens, Gallimard, 1968.
Joël H. GRISWARD, Des Scythes aux Celtes. Le Graal et les talismans royaux des Indo-Européens, Artus n°14, été 1983.