Henri Dontenville
(1888-1981)

 


Dontenville est le fondateur de l’école de mythologie française.

Né à Charenton-le-Pont, il fit ses études au Lycée Chaptal, et se destina au professorat. Ayant effectué son stage pédagogique au Lycée Janson-de-Sailly en compagnie de Jean Giraudoux, il passa l’agrégation à vingt-et-un ans, fut nommé professeur au Lycée de Poitiers en 1911. Parti en août 1914 avec le 325e de ligne, il fut plusieurs fois blessé (Croix de Guerre, Légion d’Honneur) et, à sa démobilisation, devint professeur au Lycée d’Avignon, entretenant des relations littéraires avec Daniel Rops et Henri Bosco. Devenu inspecteur d’Académie (Privas, 1925), il occupa ce poste à Moulins (1927), Angers (1933) et Lyon (1938).

Au cours de ses tournées dans les régions lyonnaise et angevine, il découvrit, par les enfants et leurs instituteurs, l’existence d’un Gargantua populaire ignoré de l’Université, ne devant rien à Rabelais, mais corrélé à de riches traditions orales ignorées des programmes scolaires.

Dans les années 1938-1939, à Lyon, il essaya – expliquera-t-il plus tard – « de soutenir le moral de mes concitoyens inquiets par un appel aux forces du terroir, riche en sites à légendes, qu’animent des Êtres dont les noms ne sont pas répandus ailleurs. » À cet effet, il publia en 1939 une plaquette illustrée par des enfants des écoles, et honorée d’une préface d’Édouard Herriot. Lauréat de l’Institut pour un mémoire sur Les doctrines morales contemporaines, il publia, de 1921 à 1935, divers ouvrages littéraires ou philosophiques.

À la défaite de 1940, il quitta tout poste de responsabilité pour professer au Lycée Hoche à Versailles, puis au Lycée Charlemagne à Paris. En 1947, il soutint avec succès une thèse de doctorat ès lettres sur la mythologie française. Elle fournira la matière de son livre Mythologie française, qui parut en 1948, et dont le titre s’inspire de celui d’un ouvrage publié en 1771 par l’abbé Bullet : Dissertation sur la mythologie française.Par ce travail, Dontenville, qui l’avait conçu durant l’occupation allemande, entendait évidemment apporter une « réponse » à la Deutsche Mythologie des frères Grimm.

En 1948, il lança dans le Bulletin de l’Éducation nationale un appel aux instituteurs, les invitant, par une série de questionnaires, à s’intéresser au folklore dans leur pratique pédagogique. Il reçut l’écho favorable d’une vingtaine de correspondants, principalement des instituteurs et institutrices comme A. Lamontellerie (1995), mais aussi des chercheurs venus d’autres horizons : Paul Lecotté qui sera un jour président d’honneur de la Société d’ethnologie française, Paul Delarue qui s’illustrera plus tard dans l’étude des contes, puisqu’il signera le premier volume du Catalogue raisonné du conte populaire français, ou encore Roger Dévigne, poète ami de Benjamin Perret, André Breton, Tristan Tzara et Joseph Delteil, et spécialiste des traditions orales qui fut le premier directeur de la Phonothèque nationale de 1938 à 1953.

Ces passionnés de folklore se regroupent alors pour former, en 1950, une Société de Mythologie française dont Dontenville est président jusqu’à sa mort, et publiant toujours, depuis cette date, un bulletin trimestriel. Depuis lors, la mythologie française s’est affirmée comme une discipline étudiant la matière folklorique des contes et légendes localisées de France, dans leur association au calendrier populaire (cadre du temps sacré d’une année rituelle) et à la toponymie (témoin d’une géographie sacrée qu’empruntent les pèlerinages, circumambulations et rogations, et dont tiennent compte les plans des villes, ponts, églises, chapelles, etc.). Utilisant des données éparses patiemment extraites de l’hagiographie, de l’histoire et de l’archéologie, de la littérature et du folklore, de l’étymologie et de la toponymie, il s’agit alors d’élucider la mémoire des sources anciennes (médiévales, antiques, protohistoriques, préhistoriques) du légendaire français. En 1972, Dontenville regrettait l’ignorance, par les programmes officiels de l’Éducation nationale, du vaste domaine qu’il avait le premier défriché, regret toujours de saison en ce début du troisième millénaire: « ce qui, au long des siècles, a donné crainte ou espérance aux gens de chez nous, cela – écrira-t-il – n’est nulle part enseigné ». Il est vrai que ses travaux furent fraîchement accueillis par nombre de folkloristes et d’ethnologues français: Dans Le Monde Alpin et Rhodanien (1974/3-4:195-196) Charles Joisten lui reprochera d’utiliser des « sources extrêmement hétérogènes » et préférera expliquer les traditions orales plutôt par des « mentalités historiques » que par une mythologie (alors qu’il n’y a là nulle incompatibilité); Arnold van Gennep (Manuel I, iv, 2, p. XIV) critiquera ses « rapprochements linguistiques fantaisistes » (en oubliant curieusement le poids des étymologies populaires), et ironisera sur sa tentative de « résurrection des théories celto- et gallomanes » (mais la position de van Gennep était elle-même excessivement peu celtophobe !). Depuis, ses continuateurs ont corrigé certaines erreurs méthologiques ou étymologiques que ces adversaires ont souvent eu beau jeu de monter en épingle, et l’approfondissement des textes mythologiques irlandais, rendus disponibles par les traductions de C.-J. Guyonvarc’h, a permis de démontrer le bien-fondé de l’hypothèse d’une forte composante celtique dans le légendaire français. Mieux : la très haute antiquité de Gargantua – qu’un Charles Guyonnet (Nouvelle Revue des Traditions Populaires 1950:68) contestait en reprochant à Dontenville de n’en avoir point apporté la preuve – ressort d’une comparaison précise entre de la geste populaire du géant, le conte de Jean-de-l’Ours, et le mythe d’Amirani, ainsi que l’a bien démontré Bernard Sergent en 1992.

Bibliographie :

vers 1930. Chroniques angevines écrites par Henri Dontenwille ; avec l'aide de Jean de Bourdigné et quelques autres. Angers : Librairie du roi René, 158 p.

1939. La Vie peu connue du bon géant Gargantua résumée, d'après témoignages et documents, par l'inspecteur d'Académie du Rhône, pour être mise en beaux dessins et récits par les écoliers de Lyon et d'ailleurs. Préface du président Herriot. Lyon: J. Chevalier et fils, II-60 p.

1948. La Mythologie française. Paris: Payot ("Bibliothèque historique"), 227 p. (Nouvelle éd. revue et corrigée: Paris, Payot, coll. "Le regard de l'histoire", 1973, 267 p. ; et 1998, avec une préface de B. Sergent).

1950. Les Dits et récits de mythologie française. Paris: Payot, 255 p.

1952. Rabelais vu de la Devinière. Six causeries radiophoniques par Henri Dontenville. Suivi du Catalogue du Musée Rabelais à la Devinière. Tours: Association des Amis de Rabelais et de la Devinière et Club des compagnons de Rabelais, 39 p.

1956. Dontenville (Henri) [préface] & Françon (Marcel) [éd.] Les Croniques admirables du puissant roy Gargantua [Texte imprimé], réimprimées avec introduction et notes par Marcel Françon. Préface de Henri Dontenville. Rochecorbon: C. Gay, LXXXIV-152 p.

1960. La France mythologique. Travaux de la Société de mythologie française, sous la direction de Henri Dontenville. Paris: Tchou ("Bibliothèque du merveilleux") (rééd.: 1966, Paris : Cercle du livre précieux; 1980: Paris : H. Veyrier-Tchou, 379 p.-[40] p. de pl.

1963. Rabelais dedans Touraine, à l'usaige et profict des pèlerins de la Devinière. Tours : Association des amis de Rabelais et de la Devinière. 32 p.

1973. Histoire et géographie mythiques de la France. Paris : G.-P. Maisonneuve et Larose, 378-XVI p.

1975. [dir.] avec René Alleau. Guide de la France mystérieuse. Paris : Presses pocket (Coll. "Galerie du mystère"), 5 vol.


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